Elle aurait pu choisir de terminer par cette scène, point culminant de son récit. Mais elle choisit de le commencer ainsi. Insensé ?
Non, car comme le peintre qui revient par petites touches sur son oeuvre, jusqu'à ce qu'elle le satisfasse, Annie Ernaux revient sur cette scène vécue à l'âge de douze ans, pour en dépeindre le contexte : l'époque, après-guerre, le lieu, une petite ville de Haute-Normandie, le milieu social de ses parents, modestes, les conventions sociales, empreintes de règles contraignantes, son éducation religieuse. Et tout lui rappelle la honte qui l'étreint depuis cette époque, cristallisée dans cette scène traumatisante, mais en réalité, cette honte, c'est celle de la pauvreté ...
Et ce parti-pris de commencer le récit par le plus marquant se révèle d'une efficacité redoutable.
La Honte, Annie Ernaux, éditions Gallimard, 133 pages, ISBN 9782070747870